dimanche 24 mars 2013

De la bêtise au racisme ordinaire



J'ai beaucoup hésité à écrire à ce propos, mais j'ai écouté ce matin une interview d'Angela Davis et de Marie NDiaye (dont le roman Trois femmes puissantes - prix Goncourt 2009 - m'a profondément marquée) qui m'a convaincue de vous parler un peu de ce qui m'énerve trop souvent dans mon quotidien bruxellois.

J'aime parfois me dire que ça se passerait aussi ailleurs, mais ayant vécu en France et en Angleterre, je peux dire que non, là-bas ce genre de situations étaient rares ou circonscrites à la rencontre de personnes peu éduquées ou isolées.

Bref, je ne vous parlerai pas des épisodes lamentables qui me posent parfois en victime de la bêtise ordinaire (l'accueil si chaleureux de certains restaurants de la mer du nord, celui du poissonnier de la place du Chât' il y a quelques années déjà, cette collègue qui m'appelait "Vendredi" juste pour rire, les appartements subitement déjà loués, cette commerçante forestoise qui m'assurait que les Noirs avaient génétiquement peur des chiens blancs car ils gardaient les champs de coton, etc.) mais voilà, quand il s'agit de la "différence de teint"* entre mon fils et moi, la sottise délie les langues et je dois rassembler tout mon sang-froid et ma diplomatie pour rester impassible et protéger ma paix intérieure.

C'est l'attitude de cette mère chez Baboes cette semaine qui a achevé de m'irriter. Elle, tout comme mes amis les plus chers, ou ma gentille voisine, insultent leur précieuse matière grise et gaspillent leur salive à coup de "toujours aussi blond ton fils", "c'est quand même dingue!", "il est tellement beau à côté de vous!", "et son père il est...?", "excusez-moi mais vous êtes VRAIMENT sa mère?"...

Ca doit être une déformation visuelle culturelle, car bizarrement, je ne reçois jamais ce genre de commentaires de mamans expatriées, d'où qu'elles viennent. Il me semble part ailleurs que si mon fils était plus foncé que moi, je recevrai moins de commentaires à ce propos car alors, cette combinaison rentrerait beaucoup plus facilement dans les schémas mentaux de mes interlocuteurs**.

Ce qui m'étonne c'est cet acharnement récurrent à me renvoyer, à me définir, donc me réduire à ma couleur de peau, à cette image d'une femme noire ("comment vous êtes métisse? ah bon!?") ou d'une mère noire avec un enfant blanc.

Alors laissez-moi citer Marie NDiaye qui répond aux éloges d'Angela Davis*** car elle est la seule femme française dont une pièce de théâtre est jouée à la Comédie Française, et qu'elle appartient selon Davis à cette nouvelle vague d'écrivains Noirs :

"C'est une question qui pour moi est toujours problématique et presque douloureuse; car je me rend bien compte quand je voyage ou même dans les rues de Paris quand des personnes, des Noirs m'abordent en exprimant une joie qu'à leur yeux j'ai réussi, je suis toujours embarrassée car je dois me rappeler qu'au yeux du monde "ah oui je suis une femme noire" alors que dans ma vie au quotidien je l'oublie car cela m'intéresse guère de l'être, et surtout,  je l'oublie quand j'écris, j'oublie que je suis une femme noire française née en 1967, j'essaie d'être complètement neutre, d'être homme, femme, animal, plante, s'il le faut, (...)".


Si vous écoutez l'interview de ces deux femmes puissantes, vous entendrez aussi Davis dire qu'elle n'a annoncée son homosexualité qu'en 1987 car cela lui semblait un détail absolument insignifiant, une matière privée, sans intérêt dans son combat pour les droits civiques des Noirs américains et pour la cause féminine.

Ce qui me fait du bien ces derniers jours, c'est aussi d'écouter Alexandre Jollien prôner l'abandon (mais pas la passivité) dans cette émission de France Culture qui me fait grandir un peu plus chaque semaine: Les Racines du Ciel. J'ai acheté aujourd'hui le dernier livre de Jollien et aussi celui de Christian Bobin, L'homme-joie, un auteur dont j'apprécie la sagesse depuis mon adolescence et qui a également été interviewé dans cette émission.

Inspirez... Expirez :)


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* je reprends ici l'expression de cette mère croisée chez Baboes.
** Marie N'Diaye dit à ce propos "on dit de Barack Obama qu'il est noir, mais il est aussi blanc que moi"
*** qui elle-même dit "je n'écris ni en tant que femme, ni en tant que Noire".


Angela Davis et Marie N'Diaye chez France Culture

2 commentaires:

Emilie Oum Kalthoum a dit…

C'est marrant parce que je suis ton blog depuis quelques temps, et je viens d'apprendre que tu es noire ;-P

Je compatis, car je suis française blanche aux yeux bleus, alors que mon mari est marocain typé. Or, notre fille a mon teint et mes yeux.
Récemment, une voisine m'a dit : "C'est fou ce qu'elle vous ressemble... le papa doit se poser des questions !" ... euh... Comment réagir à ça ? J'étais tellement choquée que j'ai juste répondu : "Non, elle a ses oreilles", lol

Anaïs a dit…

Merci Emilie!

Et bien oui, autant que Marie NDiaye et Barack Obama :D

Pas très fût-fût la voisine en effet... J'aime beaucoup ta réponse! Mon mari, a le même genre de réactions désarçonnantes qui renvoient les gens à leur propre bêtise. Je dois avoir trop la "tête dans le guidon" car jusqu'ici je n'y suis pas arrivé. La prochaine fois, promis, j'essaye ;)

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