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jeudi 18 août 2022

Se soigner pendant l'allaitement

Cet article a été publié dans le hors-série 13 du magazine Grandir Autrement, dans le dossier "De la difficulté d'être un parent à l'écoute" disponible pour 3 euros dans la boutique en-ligne du magazine (magazine qui a grandement besoin de notre soutien). 

 Je suis heureuse de partager cette interview de Pauline qui a écrit plusieurs articles de fond pour BLO il y a quelques années. Cet entretien date de 2019... Je récupère mon retard... Si vous avez besoin d'une chouette sage-femme, Pauline est au Framboisier. Je recommande aussi Philippine qui fait partie de cette superbe équipe.



 Se soigner pendant l'allaitement 

Anaïs Tamen


Rencontre avec Pauline Soupa, sage-femme indépendante et hospitalière, initiatrice de cercles de femmes enceintes autour du post-partum, à Bruxelles. Ces cercles sont l'occasion pour les femmes d'échanger leurs expériences, de retrouver les bienfaits de la sororité et d'en apprendre davantage sur une période souvent négligée pendant la grossesse où le suivi est concentré sur la naissance... Alors, comment prendre soin de sa santé pendant l'allaitement ?


Grandir Autrement : Comment booster son système immunitaire pendant l'allaitement ?


Pauline Soupa : Le plus important c'est de faire attention à son sommeil : c'est le plus grand manque que vivent les femmes, surtout quand ce n'est pas leur premier enfant. Il faut se discipliner et, en fonction de comment se passent les nuits, s'endormir au moins une fois par jour juste après avoir allaité son bébé. Sous l'influence de l'ocytocine produite lors de l’éjection du lait, la mère tombe directement en sommeil profond et ce sommeil est particulièrement récupérateur. Pour cela il faut se préparer à la sieste. Donc, avant d'allaiter, aller faire pipi, éteindre son téléphone, préparer un petit coin avec tout se dont on a besoin pour ne pas avoir à se relever. Si on se relève pour vite faire quelque chose pendant que l'enfant dort, l'effet des hormones ne fonctionne plus. Faire cela deux fois par jour c'est encore mieux ! En fonction des besoins, cela peut s’inscrire dans une routine quotidienne.


S'offrir une alimentation la plus vivante et nourrissante possible est aussi important2. Manger des légumes variés et de saison, des amandes qui sont galactogènes, du sésame, du miso, des algues, du miel, du pollen, des légumineuses, et aussi, quand on en consomme, des protéines animales qui, en Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) favorisent la récupération du Qi et du Sang3 après la naissance. En MTC, on évite les aliments froids, et on préfère les bouillons et tout ce qui cuit lentement. Chaque culture a au moins un plat spécialement dédié aux femmes en post-partum, comme la harira marocaine. A nous de questionner nos ainé-e-s pour retrouver ce savoir.


La femme allaitante, surtout après la naissance, doit adapter son rythme, c'est à dire ralentir et trouver du soutien, surtout quand il y a un ou des aîné-e-s.


Quand il y a des personnes malades dans l'entourage, notamment des enfants scolarisé-e-s qui ramènent parfois des virus de l'école, on peut, en préventif, diffuser des huiles essentielles dans l'espace de vie. Le Ravintsara est une des huiles essentielles (HE) qui est compatible avec l'allaitement. Pour les diffuser, les règles sont : en dehors de la présence des enfants. Si notre bébé à moins de 3 mois, il faut consulter un-e spécialiste avant d'utiliser des HE. De manière générale, il vaut mieux consulter une personne formée en aromathérapie ou un-e herboriste, car certaines huiles sont déconseillées avant 3 ans, d'autre avant 6 ans, et pour celles qui sont autorisées, les posologies et voies d’administration sont à adapter. Une alternative, plus douce avec moins de contre-indications que les HE : les hydrolats. Là encore, il est bon de prendre conseil.


Comme remède préventif, on peut faire une cure de propolis, d'extrait de pépins de pamplemousse ou de teinture mère d'échinacéa.


De manière générale, prendre soin de soi le plus possible c'est la base.


Prendre soin de soi ce n'est pas évident avec un.e tout.e petit.e...


Oui, le congé maternité n'a de « congé » que le nom. Je mets en garde les femmes qui accouchent l'été car parfois elles ne pensent pas du tout à prévoir du soutien pour les ainées. Elles se disent : « c'est super, les enfants seront à la maison... ». Or, ce n'est pas à celle qui vient d'accoucher de s'occuper des plus grand-e-s. Il faut une personne ressource pour toute la durée du 4ème trimestre, c’est ainsi qu’Ingrid Bayot, sage-femme québécoise, appelle la la période toute particulière que constituent les 3 premiers mois de vie du bébé. Dans toutes les cultures il y a cette période de repos pour la femme. Dans le Coran, c'est la symbolique des 40 jours après la naissance durant lesquels la femme s’abstient de certains actes (jeûne, rapports sexuels, …) mais surtout est assistée par d’autres femmes. En Europe et particulièrement en France, les relevailles étaient traditionnellement la cérémonie catholique qui permettait aux femmes de réintégrer les lieux de culte après un temps de repos chez elle ou elles étaient soutenues par les autres femmes de l’entourage. Désormais, nous sommes propulsées dans un quotidien fou juste après la naissance. Et les femmes aussi entrent dans cette dynamique. J'entends certaines femmes que j’accompagne dire « J'en profiterai pour faire ci ou ça... ». Sortir pour soi, se faire du bien, pour rencontrer des personnes encourageantes, oui. Répondre à des impératifs, non !



Et si la mère / le parent allaitant tombe malade ?


Je crois qu'on peut raisonnablement dire que la maladie vient comme un signal pour la mère et dans la grande majorité des cas, c'est un signe de grande fatigue. C'est donc le moment de questionner son quotidien, même si on avait l'impression d'avoir déjà ralenti. Le moment de se dire : « ok, je n’avais pas l'impression d'en faire trop mais qu'est-ce que je peux encore retirer de mes épaules ? Ou puis-je trouver du soutien ? ». La question du soutien et des personnes ressources, est à se poser durant la grossesse, avec le/la partenaire quand il y en a un-e.


Quand la maladie est là, on évite de s'auto-médicamenter. Que ce soit des médicaments allopathiques ou avec des alternatives naturelles, il vaut mieux demander conseils à quelqu'un qui s'y connait quand on n’est pas sûre de ce que l'on peut prendre ou pas.


Il est aussi important d'éviter les carences et, quand on en a, de les prendre au sérieux, surtout les carences en fer qui génèrent une fatigue chronique qui affaiblit le système immunitaire.


Peux-t-on allaiter quand on est malade ?


Oui, bien sûr, sauf dans quelques situations particulières : HIV, hépatite C si associée à des crevasses qui saignent par exemple.

Quand la mère tombe malade, elle transmet à son bébé les anticorps qu'elle fabrique. Comme le bébé suit sa mère partout, c'est très pratique. Le système immunitaire de la mère réagit plus vite que celui du bébé et elle lui transmet ce dont il a besoin pour se défendre.


Quand on a une intoxication alimentaire, une infection ORL,… bien sûr que l'on peut continuer à allaiter ! On doit respecter les règles d'hygiène de base : se tourner et éternuer ou tousser dans ses mains, puis bien se laver les mains.


Si on a une maladie chronique, dans la plupart des cas, on peut continuer à prendre son traitement et allaiter. Surtout, il ne faut pas décider d'arrêter seule un traitement. Je pense notamment aux femmes en dépression ou celles qui font de l'hypertension. Mieux vaut en parler à son médecin pour obtenir une alternative compatible.


Certains médecins proposent d'arrêter l'allaitement...


Cela peut arriver, et si une professionnel de la santé vous conseille d’arrêter l’allaitement alors que ce n’est pas votre souhait du moment, demandez un second avis. Beaucoup de professionnels de la santé ne sont pas assez formés au sujet de l'allaitement. J'ai déjà eu le cas d'un médecin conseillant à une mère qui avait une mastite de stopper immédiatement l'allaitement ! Or en cas de mastite, c'est bien la dernière chose à faire !


Les mères sont assaillies de conseils. Il faut nous rappeler que chaque situation est unique et que ce qui est bon pour notre meilleure amie ou notre voisine, ne l'est pas forcément pour nous.


1. www.leframboisier.be

2. Lire dans ce dossier « L'alimentation de la mère qui allaite »

3. en MTC, le Qi est l'énergie primordiale présente en toute chose, qui circule dans l'être et son environnement, et le Sang est le fruit de l'énergie de la nourriture, il est le sang tel que perçu en médecine occidentale et aussi l'énergie de ce liquide organique.

mercredi 17 août 2022

Des difficultés des enfants racisés



Article parut dans le numéro 83 du magazine Grandir Autrement, disponible à la vente ici. Merci de soutenir ce magazine indépendant.

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Durant mes années de collaboration à GA, je n'ai presque jamais reçu de courrier de lectrice.eur. Tu sais, le genre de courrier qui encourage à rechercher et partager... Enfin, j'en ai reçu 3... en à peu près 4 ans d'écriture.  Les deux premiers, suite à mes articles sur le végétalisme. Les missives étaient documentées et assez outrées, la rédaction m'a soutenue je me souviens. Le dernier courrier, je l'ai lu juste avant de me crasher à vélo, il y a deux ans, et d'avoir le plus gros accident de ma vie. Accident qui m'a fait sortir de mon corps et dont je porte encore les séquelles aujourd'hui. Bien sûr, ce n'est pas la faute de la lectrice ! Ce n'est pas ce que j'insinue. Ce que je constate, c'est que ce sujet me remue (c'est un euphémisme!) et qu'il a remué, quand bien même j'édulcore mon propos. 

Je trouve cet article assez gentil. Deux ans après, mon bagage d'activiste, de mère racisée d'enfants racisés c'est étoffé. Je serai bien plus cash si je devais partager à nouveau. Mais je ne m'essouffle plus à éduquer à grande échelle. Ce n'est pas ma mission. Ce qui me semble important, c'est de prendre soin de moi, mes enfants, les personnes qui cumulent comme moi les minorités visibles et notre pain-body collectif. Les autres peuvent s'éduquer elles.eux-mêmes.

Je n'ai jamais répondu à la lectrice. Je ne répondrai pas non plus ici.


Des difficultés des enfants racisés

Anaïs Tamen


L'adjectif « racisé » parle du regard de l'observateur. On n'est pas un racisé mais « racisé », c'est-à-dire vu comme « autre » par celui/celle qui nous attribue une race supposée et les projections qui vont avec. Le racisme est une réalité sociale, quotidienne et institutionnalisée. Y mettre fin c'est d'abord voir la part que l'on joue dans ce système bien solide qui empoisonne la vie quotidienne et l'amour de soi à tout âge.



Maé a 4 ans, elle a demandé une princesse. Sa mère lui offre une poupée noire. Maé dit : « Mais non, une vraie princesse, une belle ! ». La maman de Maé est blanche, son papa est noir.

Julie, en première année de maternelle, se confie enfin à sa maman (blanche) après quelques semaines de silence tant elle a honte : « À l'école tout le monde dit que mes cheveux sont moches, sauf la maîtresse ! ». Quand sa mère lui demande comment elle les trouve, Julie répond qu'elle les trouve beaux mais qu'elle tire tous les jours dessus devant la glace.

Ma fille, à 5 ans, me demande comment effacer cette couleur noire de sa peau. « Je ne l'ai pas choisie et je n'en veux pas ! ». Elle a un grand-père noir et trois grands-parents blancs.

Les enfants de Marine sont instruits en famille. Ils ont un prénom et un nom de famille peul. Marine observe que ses enfants sont contrôlés chaque année alors qu'en Belgique les contrôles ont lieu tous les deux ans.

Lili, 6 ans, rentre de l'école du cirque : « C'est dur d'être le seul point bleu, parmi tous ces points verts ». Sa mère ne comprend pas tout de suite.


Le poids de la visibilité

« Être noir c'est être toujours visible. C'est donc devoir composer avec cette visibilité et au fait d'être perçu comme différent. C'est faire l'expérience d'être “l'autre”1 ».

Pour Robin DiAngelo, sociologue, « Tous les enfants entre 3 et 4 ans comprennent qu'il vaut mieux être blanc, tous2». Akuye Addy, chercheuse, ajoute qu'avant 2 ans, les enfants perçoivent la couleur et le genre de manière neutre, ensuite ils « ressentent et réalisent qui est présent, qui a une voix, qui est vu, qui est important et qui ne l'est pas3 ». Chez les enfants issus de la majorité raciale, ce processus mène à la supériorité internalisée, tandis que les enfants racisés internalisent le rejet des personnes de couleur.

L'expérience précoce du rejet chez les jeunes enfants et ses conséquences constituent l'un des premiers désavantages dans la scolarité et la socialisation des enfants racisés4. La dévalorisation de l'image de soi et l'adaptation au statut de minorité, « d'autre », s'ajoutent à la foule des apprentissages de la petite enfance. Cette expérience, la vaste majorité des enfants blancs n'y est pas confrontée5. Au fil du temps et des expériences de rejet, ces enfants peuvent se replier sur eux-mêmes, adopter des comportements de bravade ou de déni d'une réalité blessante.

Une expérience sociologique très pertinente, appelée « le test de la poupée »6, montre que la grande majorité des enfants, quelle que soit leur couleur de peau, associe le fait d'être socialement accepté.e, beau/belle, gentil.le, intelligent.e, au fait d'être blanc.he. La couleur noire de peau est associée à la méchanceté, l'agressivité, la stupidité et au rejet social. Les enfants noirs assimilent aussi ces associations.


Un écran de projection

Au quotidien, c'est comme si la couleur de peau servait d'écran de projection aux idées préconçues, fantasmes, peurs et curiosités teintées d'exotisme des personnes blanches. La manière dont les personnes noires sont représentées dans la littérature jeunesse, les dessins animés et autres médias donne un bon aperçu de ces préjugés. Les personnages sont le plus souvent caricaturaux, exotiques ou victimes.

Malgré l'histoire de l'immigration en Europe, la compréhension commune est qu'être européen, c'est être blanc. C'est l'une des racines du refus d'appartenance pour les personnes racisées à la société dont elles font partie intégrante. On peut être né en France, y grandir, aller à l'école, et toujours, être perçu comme « l'autre ».


Oser voir notre racisme inconscient

Pour que le racisme cesse, il faudrait déjà pouvoir en parler. Car parler de racisme, c'est amener de la conscience sur nos paroles et actes inconscients qui s'inscrivent dans un système social inégalitaire et le renforce.

Or, comme l’a mis en lumière Robin DiAngelo, il est difficile et délicat de parler de racisme avec les personnes blanches. C'est ce qu'elle appelle la « fragilité blanche7 ». Elle explique que lorsqu'on aborde la question du racisme, les personnes blanches sont sur la défensive. Elles refusent de se remettre en question car elles ont une image biaisée du racisme comme un acte individuel, une « mauvaise action » perpétrée par une personne raciste. Or, « le racisme est un système inégalitaire institutionnalisé, tout comme le patriarcat avant le vote des femmes. C'est un tissu de notre société auquel nous participons8 ».

Robin DiAngelo invite à déconstruire les pièges qui empêchent de percevoir son propre racisme inconscient en érigeant des défenses, par : l'objectivation (« Je côtoie des personnes noires »), l'individualisation (« Nous sommes tous uniques ») et l'universalisme (« Nous sommes tous un »). Ces discours, aussi bien intentionnés qu'ils soient, sont déconnectés de la réalité sociale et empêchent le changement.

Le racisme ne se limite pas à un dégoût conscient. Cheminer vers la vigilance et l'humilité face au racisme, c'est par exemple oser se découvrir comme blanc avec une expérience blanche dans une société multiculturelle inégalitaire. C'est voir la supériorité blanche comme une réalité sociale, globale9 et individuelle. C'est voir ce que cette supériorité inconsciente engendre chez soi. 


Des outils

- Différencier l'intention de l'impact. On peut avoir toutes les bonnes intentions du monde, si nos paroles ou actes sont intrusifs ou moqueurs, il y a peu de chance qu'ils servent le sentiment d'appartenance et le bien-être de l'enfant ou del'adulte auquel on s'adresse. Questionner une personne non-blanche sur ses origines est intrusif.

- Se remettre en question même quand on est (grand-)parent ou partenaire de personnes racisées. Les enfants et adultes soumis au stress racial ont besoin d'être en sécurité émotionnelle dans leur foyer, c'est-à-dire ne pas être rappelé à leur différence s'ils n'abordent pas eux-même le sujet.

- S'affranchir du vocabulaire de colon (métis, quarteron...) qui nourrit le colorisme (la hiérarchisation des couleurs de peau) et la bêtise populaire (pâtisserie « tête de nègre ...», père fouettard, etc.)

- Comprendre qu'il n'y a pas de « petites discriminations » et qu'elles provoquent à la longue la haine de soi.

- Se prémunir d'une représentation biaisée de la société dans la littérature jeunesse et nourrir une représentation positive des enfants racisés10.


1 - Akuye Addy, « Black feminism, Black lives », travaux de recherche en sciences sociales, Université de Fulda (Allemagne), 2018.

2 - Robin DiAngelo, « Being nice is not going to end racism » : https://youtu.be/9Jin7ISV85s

2 ans après, cette vidéo n'est plus disponible malheureusement et je ne la retrouve plus. Mais j'ai ajouté à la fin de cet article une vidéo similaire.

3 - Akuye Addy, op.cit.

4 - Notons que la discrimination commence bien avant la scolarité. Pensons par exemple à la qualité et l'accès aux soins de santé de la mère et de son bébé. L'enfant racisé est dès la conception touché par notre système inégalitaire.

5 - Sauf dans certains quartiers ghettos où le rapport majorité/minorité s'inverse et où les enfants blancs sont confrontés à cette problématique. Si nous avons tous des préjugés raciaux, le « racisme inversé » comme certains le nomment de manière simpliste ne peut s’apparenter au racisme institutionnalisé car les enfants blancs restent dotés des privilèges qui faciliteront leur parcours social face aux institutions, aux propriétaires, aux employeurs, etc.

6 - Ce test a été mené pour la première fois durant la ségrégation raciale aux États-Unis par les chercheurs Kenneth et Mamie Clark (https://youtu.be/AFHdpfcvKic) puis répété de nos jours avec différents groupes d'enfants (https://youtu.be/tkpUyB2xgTM).  Les résultats sont similaires.

7 - Robin DiAngelo, « White Fragility : Why It's So Hard for White People to Talk About Racism », Beacon Press, 2018.

8 - Ibid.

9 - À l'échelle mondiale, les statistiques sont impitoyables : sur les dix personnes les plus riches de la planète, neuf sont des hommes blancs, et huit d'entre eux détiennent autant de richesse que la moitié pauvre du globe.

10 - En découvrant par exemple de beaux ouvrages sur le blog d'une mère bibliothécaire québécoise, Mistikrak : https://mistikrak.wordpress.com












L'alimentation de la mère qui allaite

HS13 grandir autrement
Je remets à jour ces pages par la publication d'une série d'articles rédigés ces dernières années pour Grandir Autrement, qui je pense, seront utiles à plus grande échelle en étant aussi dispo ici.

Cet article a été publié dans le hors-série 13 de Grandir Autrement, dans le dossier "De la difficulté d'être un parent à l'écoute" disponible pour 3 euros dans la boutique en-ligne du magazine (magazine qui a grandement besoin de notre soutien). 



L'alimentation de la mère qui allaite

Anaïs Tamen - Septembre 2019 


Quand on allaite, on reçoit beaucoup de conseils non-sollicités, parfois contradictoires. Prendre soin de nos besoins et de ceux de notre enfant est l'occasion de cheminer vers une alimentation plus consciente, source de vitalité et de joie.

Nos habitudes alimentaires sont pétries de normes et valeurs culturelles, familiales, et parfois religieuses. Dur de remettre en question ce goût dont nous avons hérité dès notre vie intra-utérine par le liquide amniotique, puis par le lait maternel et à la table familiale...


Une alimentation bienveillante

Pourtant, manger plus sain est à la portée de tous. La base d'une alimentation bienveillante pour notre système « corps-cœur-mental », qui réponde à nos besoins à différents niveaux (nutrition, plaisir, éthique...) est certainement la conscience. S'informer et choisir ce dont nous nous nourrissons, acceptons de transformer, d'assimiler et de partager avec notre petit.e, est la clé.

Les règles de base suivantes1 bénéficieront à toute la famille :

  • Privilégier les produits frais, non ou peu transformés et les fruits et légumes locaux de saison (issus de l'agriculture raisonnée si possible).     
        

  • Manger plus de légumes verts et oranges.
        

  • Manger peu (ou pas) de sucre. Pour satisfaire les envies de sucre privilégier la consommation de fruits frais.
        

  • Lire les étiquettes pour éviter les additifs alimentaires artificiels et pouvoir repérer les allergènes.
        

  • Choisir de bonnes graisses végétales (vierges et de première pression à froid) riches en oméga-3. Éviter les graisses animales (graisses saturées) lourdes pour l'organisme, et potentiellement allergènes, et l'huile de palme. Notons que « la nature des graisses présentes dans le lait est très liée à celle consommée par la mère.2 »
        

  • Privilégier les cuissons lentes aux cuissons à haute température qui détruisent les nutriments et créent des « anti-nutriments » toxiques pour l'organisme.
        

  • Boire quand on a soif, de l'eau, des tisanes variées, des smoothies maison. Éviter les excitants et les boissons gazeuses et sucrées.


L'intelligence du lait

On estime qu'allaiter nécessite environ 600 calories en plus par jour. Cet excédent d'énergie requise, le corps le puise en partie dans la masse graisseuse qu'il a accumulée pendant la grossesse : « En l’absence de toute modification du métabolisme maternel ou augmentation des apports, cela représente 13 kg de masse grasse sur une période de 6 mois.3 »

La quantité de lait est déterminée par la succion du bébé. L'allaitement à la demande permet de répondre aux besoins du bébé, tant au niveau de la quantité que de la qualité du lait,qui évolue au fil de la journée et de l'âge de l'enfant. . Notons que : « les mères qui ont un lait très riche en graisses fabriquent habituellement moins de lait, et les mères qui ont un lait pauvre en graisses en fabriquent habituellement une plus grande quantité ».

Il est très intéressant d'observer qu'il existe peu de différence entre la composition du lait d'une femme mangeant à sa faim et d'une femme souffrant de malnutrition4. Cependant, si la mère n'accroit pas sa consommation de certains nutriments, c'est dans son organisme qu'ils seront puisés pour répondre aux besoins du bébé.


Éviter les carences

Durant l'allaitement, les besoins en vitamines A, B6 et C, zinc et iode augmentent de plus de 50 %5. Par ailleurs, en raison de l'appauvrissement de notre alimentation (entre autres dû à l'appauvrissement des sols par l'agriculture intensive et les mono-cultures), la plupart des femmes, qu'elles allaitent ou pas, ne couvrent pas leurs besoins en calcium, en fer, en zinc, en magnésium, en vitamine B6, en folates, et en vitamine D6. Cependant, « l’allaitement protège vis-à-vis de la carence en fer : l’aménorrhée de la lactation abaisse les pertes en fer chez la femme, et le taux lacté de fer est bas7 ».

Les précurseurs de la vitamine A qui permettent à notre corps de produire de la vitamine A se retrouvent dans tous les fruits et légumes colorés en particulier de couleur orange. Les bananes, les haricots et les pois-chiches, l'avocat, le saumon et les pistaches contiennent beaucoup de vitamine B6. La B9 se trouve dans la levure de bière maltée, l'avocat, la plupart des légumes verts et légumineuses. La vitamine C se trouve en grande quantité dans la baie d'églantier, l'argousier, l'ortie, le cassis, le persil et les herbes fraîches, et dans tous les fruits et légumes. Les algues marines, l'huile de foie de morue et la morue, l'ail frais et la farine de maïs sont riches en iode. Notons que le sel enrichi en iode serait suspecté d'une forte teneur en plomb...8 

Pour assurer nos besoins en calcium et en iode, on peut fabriquer du gomasio à base de sésame grillé mixé avec un sel de notre choix (10/1), et un peu d'algues ou d'herbes aromatiques sèches, et en saupoudrer nos salades et plats. En dehors des fruits de mer, on trouve du zinc dans le germe de blé, les graines de courges (source de magnésium, fer, phosphore, zinc, cuivre, potassium, calcium, vitamines A, B1 et B2, et d'oméga-3), les champignons shiitake et les lentilles.

On trouve du calcium en bonne quantité dans les figues sèches et dattes, le sésame complet et les amandes (qui contiennent aussi du magnésium et du potassium facilitant l’assimilation du calcium). Les légumes verts, dont le poireau, les brocolis, les épinards (à ne pas manger trop souvent du fait des nitrates) le persil, la mâche, le cresson, la roquette, et les algues, sont une bonne source d'apport. Les herbes aromatiques séchées (basilic, marjolaine, thym, herbes de Provence et Meloukhia) contiennent plus de calcium que les produits laitiers.

Attention, les vitamines sont souvent sensibles à la lumière, à la chaleur et se détériorent au cours du stockage. On préférera des produits frais ou à défaut congelés et les cuissons douces. Quand notre mode de vie est effréné, on peut aussi se tourner vers les vitamines dites « de grossesse ». Attention cependant au risque de se sentir « couverte » parce qu'on prend des compléments et de négliger la qualité notre alimentation, et prenons garde à choisir des compléments avec le moins d'additifs possibles.

Certaines situations sont plus sollicitantes pour le corps : jumeaux, allaitement lorsque l'on est enceinte, allaitement post-hémorragie, allaitement après des grossesses rapprochées, co-allaitement... Un accompagnement au cas par cas est nécessaire.


Végétalisme, allergies et régime

Tout comme en dehors de la grossesse et de l’allaitement, les végétaliennes doivent se supplémenter en vitamine B12. Notons que le lait produit par les mères végétariennes contient moins de polluants environnementaux que celui des mères consommant plus de graisses animales9. 

Les études sur le lien entre allergies et allaitement ne sont pas unanimes10 : certaines concluent à la prévention ou la réduction de manifestations allergiques, d'autres au risque possible de polysensibilisation. La prise de probiotiques et d'oméga-3 pendant la grossesse et l'allaitement (pour équilibrer le ratio oméga-3/oméga-611) semblerait limiter le risque allergique.

Quant à la question de la perte de poids, les régimes précoces ou la perte de plus de deux kilos par mois durant l'allaitement sont déconseillés. Apprenons à célébrer notre corps abondant qui nourrit notre enfant. Le post-partum ne devrait pas être une période de privation et de contraintes, mais l'occasion de prendre soin de nous et de notre enfant. N'attendons pas, et n'attendons personne, pour honorer nos formes et nos capacités de femmes créatrices, divines, qui donnent et nourrissent la vie ! Réunissons-nous entre femmes pour partager à ce sujet. Marchons et dansons avec nos bébés et bambin.e.s. Trouvons du plaisir à bouger, manger, créer et à être nous, en ce moment, tout simplement.



1 - Voir les recommandations de l'OMS : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/healthy-diet

2 - « Se nourrir quand on allaite », La Leche League (LLL), Allaiter aujourd'hui n° 113 (2017).

3 - « Implications de l’alimentation maternelle », LLL, Dossiers de l'Allaitement n° 67 (2006).

4 - Op. cit.

5 - Op. cit.

6 - Notons que plus la peau est foncée plus les besoins en vitamine D sont importants.

7 - LLL, 2006, op. cit.

8 - https://fr.wikipedia.org/wiki/Sel_iodé

9 - LLL, 2017, op. cit.

10 - « Le casse-tête de l'allergie » : https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/allaiter-aujourd-hui-extraits/1131

11 - « Quelques interrogations sur la nutrition de la mère qui allaite », LLL, Allaiter aujourd'hui n° 64 (2005).

vendredi 20 décembre 2019

L’école : vecteur de socialisation




Cet article a été publié dans le numéro 72 du magazine Grandir Autrement, dans le dossier "Accompagner la scolarité de son enfant" disponible en ligne ici

« Tout individu est inscrit avant même sa venue au monde dans ses groupes familiaux, sociaux et culturels. L’individu n’existe pas sans ses groupes originaires et ses institutions d’appartenance »1.Dans le modèle social qui est le nôtre, famille et école sont les instances de socialisation primaire classiques qui modèlent l’être en être social, plus ou moins sociable. La massification de la scolarisation, encouragée dès 2 ans, par les pouvoirs publics, et la légitimation de l’école comme lieu d’apprentissage des savoirs, savoir-être et savoir-faire, en fait une source d’influence majeure sur les parcours individuels mais aussi sur l’évolution de la société dans son ensemble. Comment s’opère la socialisation ? Notre modèle scolaire permet t-il l’épanouissement de chaque enfant ?


La cohésion sociale, fondement de l’école publique

La socialisation est le processus d’intériorisation par l’individu des normes, valeurs et manières d’être du groupe social auquel il appartient.  La famille dote l’enfant d’un certain « capital culturel » et la scolarité complète sa socialisation part l’influence des pairs, des professeur-e-s, de tous les acteurs en jeux (animatrices-eurs, personnel de nettoyage, direction, etc.) et de l’environnement dans lequel l’apprentissage à lieu2

Pour Emile Durkheim, père de la sociologie moderne, si l’école est garante de l’ordre social par l’homogénéisation des comportements individuels, elle prépare aussi à la division du travail en orientant les élèves vers des formations qui assureront leur fonction productive dans la société3. On note des disparités importantes dans l’Union Européenne, quant à l’âge et au degré auquel cette spécialisation s’opère4.

Assurer cohésion sociale et économique est à la source de l’enseignement obligatoire et institutionnalisé. Annick Percheron, sociologue, parle de destruction créatrice : « l’individu socialisé transforme son comportement pour satisfaire les attentes de la société »Les travaux de Georges H. Mead apporte une nuance positive. Selon lui, l’enfant copie dans un premier temps ses proches « puis il interprète librement les rôles qu’il souhaite, en se confrontant aux règles de comportements imposées par la communauté. Ainsi, dans un même contexte social, plusieurs enfants n’auront pas le même comportement, car leur personnalité les conduira à accepter plus ou moins les règles communautaires, celles-ci en retour n’ayant pas façonné à l’identique les personnalités individuelles ».6


Le défi de la mixité

Les sociologues Pierre Bourdieu et, plus récemment, Camille Peugny, l’ont montré : l’école reproduit les inégalités et échoue dans son rôle d’ascenseur social ; l’accès aux diplômes reste lié à l’origine sociale et ce fait tend à se renforcer7. En cause : la valorisation d’un certain type de capital culturel, distinct de celui dont dispose les familles populaires. Christine Passerieux, conseillère pédagogique explique : « Les codes, les valeurs, le langage de l'institution scolaire ne recouvrent pas nécessairement ceux de la famille. Plus la distance est grande, plus le travail psychique [et]cognitif que devront fournir les enfants sont importants.»8
Or, l’école est un lieu où des enfants d’origines sociales et culturelles différentes peuvent se mélanger et enrichir, ce précieux « capital culturel ». Quand les territoires le permettent… Par exemple, dans son documentaire Swagger, tourné à Aulnay, Olivier Babinet, donne la parole à des adolescents n’ayant jamais côtoyé de français dits « de souche »9. Une enquête auprès de jeunes européens de 16 à 34 ans révèle le sacrifice d’une partie des écoliers : 16% des jeunes de 16 à 17 ans déclarent se sentir ou s’être sentir en souffrance à l’école, 30% s’y sente seul et 16% méprisé10.On parle de « démocratisation ségrégative » du système éducatif11 

La prise de conscience du rôle de l’autocensure dans le choix d’orientation des élèves12et la portée de mouvements sociaux contestataires dans les banlieues ont peu à peu données lieu a des politiques de discriminations positives, tel le dédoublement des classes en CP et CE1 dans les zones défavorisées (pour atteindre moins de 20 élèves par classe), ou les « Cordées de la réussite »13, un dispositif favorisant l’accès à l’enseignement supérieur aux élèves issus de milieux précarisés (notamment par le tutorat entre élèves du supérieur et du secondaire). Mais c’est peut-être le caractère élitiste du système d’orientation, reflet de la psyché collective, qui hiérarchise les formations en fonction d’une vision inégalitaire de la société, fondé sur la suprématie du conceptuel sur le corporel, du col blanc sur le col bleu. 

D’après Muriel Darmon, directrice de recherche au CNRS, c’est en première année de maternelle que le processus de socialisation propre à l’école est le plus visiblecar les enfants y sont préparés à devenir des élèves. L’apprentissage y est plus social que scolaire. Ses travaux éclairent la notion de violence symbolique, propre à Bourdieu, influence infra-consciente de l’école et ses acteurs, qui assure , « L’homogamie sociale est d’autant plus forte qu’elle est relayée par de nombreux mécanismes, aussi bien internes à la classe (l’institutrice peut apparier des enfants qui lui paraissent aller ensemble, le « club des chipies » se rassemble de lui-même autour des livres d’images…) qu’externes (la sociabilité enfantine étant organisée par la sociabilité parentale, les mères qui se connaissent ou se voient en dehors de l’école pouvant par exemple venir chercher alternativement les enfants ou les garder le mercredi)»14. Les discours et pratiques d’obéissance, l’apprentissage du classement, de la catégorisation et de la différenciation, « même de ce qui est objectivement identique» 15 par « l’intériorisation de « catégories de l’entendement »serait pour Darmon «l’apprentissage social d’un principe de vision et de division du monde ».16


Vive la récré !

L’importance du relationnel à l’école, l’influence décisive que l’enseignant-e peut avoir sur le développement d’un enfant, dans des conditions souvent difficiles (classes en sureffectifs, manque de soutien et de valorisation de la fonction…), par son attention aux dons en germe, est un cadeau pour la vie.
Quand on évoque l’école, c’est souvent les amitiés qu’enfants et adultes évoquent en premier. Dans le processus de socialisation, bien plus que les professeurs, ce sont les pairs dont l’influence est la plus grande sur l’enfant. Les temps libres dans la cour de récréation permettent l’apprentissage spontané du vivre ensemble. Les interactions entre enfants d’âges différents sont rendues possibles, les fratries se retrouvent, l’imaginaire se libère. Et se sont bien souvent ces aventures que l’enfant partage le soir à la maison.


1. « Groupes et individus», Cahiers de psychologie clinique, n°31, 2008, https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2008-2-page-215.htm
2. Maria Montessori, L’enfant dans la Famille, Desclée de Brouwer, 2016
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisation
4. OCDE, L’europe de l’éducation en chiffres, 2016, http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/94/4/depp-EEC-2016_660944.pdf
5. Les grandes questions sociales contemporaines, L’Etudiant, 2007, https://www.letudiant.fr/boite-a-docs/telecharger/la-socialisation-2632
6. L’étudiant, op.-cit.
7. Camille Peugny, Le destin au berceau : Inégalités et reproduction sociale, Le Seuil, 2013
8. Christine PASSERIEUX, Ecole maternelle : La socialisation, un préalable ou une construction scolaire ?, Dialogue n° 108, GFEN : http://www.cndp.fr/entrepot/fileadmin/docs/education_prioritaire/maternelle_edu/Passerieux_Maternelle.pdf
9. Olivier Babinet, Swagger, France, 2016.
10. L’enquête « Génération Quoi » a été menée en France en 2013. En découle, « Génération What » une série de reportages vidéos et une enquête statistique menée dans 9 pays de l’Union Européenne sur les 18-34 ans : http://generation-what.francetv.fr
11. Pierre Merle, La ségrégation scolaire, La Découverte, 2012
12. Camille Peugny parle d’auto-sélection : « à niveau scolaire équivalent, par exemple, les enfants vont avoir des souhaits d’orientation différents selon leur origine sociale», voir son interview par l’Observatoire des inégalités, 2013 https://www.inegalites.fr/La-mobilite-sociale-est-en-panne-entretien-avec-Camille-Peugny-sociologue
13. http://www.cordeesdelareussite.fr
14. Muriel Darmon, « La socialisation, entre famille et école. Observation d'une classe de première année de maternelle», Sociétés & Représentations n° 11, 2001, https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2001-1-page-515.htm
15. Darmon, op.-cit. L’auteur montre comment un objet peut être nommé et utilisé différemment selon le moment et le lieu où il est employé.
16 Darmon, op.-cit.

lundi 2 décembre 2019

Les défis du nomadisme en famille

Article parut dans Grandir Autrement n° 78 dans le dossier "La Vie Nomade"et disponible gratuitement en ligne iciCe numéro est disponible à la vente en version papier pour 6,50€ ou en version numérique pour les abonnés.
Superbe illu par mon amie Luraya : www.luraya.com

Le nomadisme fait rêver. Retourner à notre nature ancienne, vivre la slow life au rythme des saisons, se nourrir de grands espaces et de rencontres profondes avec soi et les autres… Ces dernières années, les récits d’épisodes nomades en famille se font plus visibles sur les réseaux sociaux et dans les médias. Qu’elle soit une réponse poétique, engagée ou aventureuse, la vie nomade quand on a vécu en sédentaire est un défi. Et avec des enfants ? Zoom sur les challenges de la route en famille, avec Yannick, coach, papa de la tribu MYTAE1 sur la route depuis sept ans, Lu2, illustratrice, prof de yoga et maman de Yuma, 18 mois, de retour après cinq mois de van life à trois, et Marina3, doula, qui vient de prendre la route seule avec sa fille, Rosa Cali.
Nomade depuis sept ans, la famille MYTAE – Maude et Yannick, les parents, Théo, 11 ans, Arthur, 8 ans et demi, et Emy, 4 ans et demi – pourrait se vanter d’une belle collection de hashtags. Leur authenticité, leur présence chaleureuse et simple, ouverte, touche au cœur et invite, en résonance, à se déposer dans la rencontre.
Sur leur premier blog, « La roulotte qui gigote »4, devenu livre, ils racontent trente mois au pas des chevaux, en roulotte tractée. Après la naissance d’Emy, la famille aménage un car scolaire – de douze mètres de long et quatorze tonnes – et sillonne pendant deux ans la France et l’Espagne. À la demande des enfants, ils expérimentent quelques mois la vie sédentaire puis repartent en Grèce en 4×4 agrémenté d’une tente de toit. Avec ce nouveau mode de transport et d’habitat « minimaliste », ils goûtent à plus d’autonomie et d’accès au sauvage. En revenant à l’essentiel (se loger, se nourrir, être en sécurité), les MYTAE on appris « à voir avec le cœur. On met plus en avant ce que l’on vit et ce que l’on est que ce que l’on fait ».
En partenariat avec Grandir Autrement, Yannick partage en podcast toutes les astuces de leur famille pour transcender les défis du nomadisme.
Voici quelques morceaux choisis rassemblés autour de quatre challenges quotidiens.
  • Le mouvement permanent : « Les changements de repères demandent de développer une grande capacité d’adaptation. Nous avons appris à nous satisfaire de ce qui est, puisque de toute façon c’est pour une période courte. Les enfants nous ont beaucoup aidés. Ils sont satisfaits à peu près partout : sable, forêt, prairie… Ils jouent avec ce qui est. Même si c’est un parking, c’est l’occasion pour eux de faire de la trottinette ! ».
    Sur la route, Yannick et Maude on appris que rien n’est figé. Pour résoudre les défis du quotidien aussi : « Lorsqu’on essaie de cristalliser une solution on ne perçoit plus l’étendue des possibles. Ce qui était inimaginable il y a sept ans est possible aujourd’hui. On se laisse guider par notre cœur, ça  transcende notre réalité, notre quotidien, et nous donne une grande confiance. »
  • Du temps pour soi : « Vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans un espace restreint entre adultes et enfants mélangés demande aussi une bonne dose d’adaptabilité ! Comment dans cet espace-là chacun peut exister individuellement ? » Yannick, par exemple, a appris à s’isoler avec de la musique et à adapter son rythme en se levant tôt et se couchant tard.
  • La promiscuité : Dans cette vie rapprochée où temps et espace sont partagés quasi en permanence, les MYTAE ont mis en place un système de communication familiale et des outils pour libérer les émotions. « Avec le bâton de parole, on offre un cadre où les enfants partagent ce qu’ils ne diraient pas forcément en dehors. Ça leur permet de nous donner des clés, d’exprimer quand ils veulent s’arrêter ou repartir. On ouvre ce temps, comme un rituel. La parole circule avec un bâton décoré par les enfants5 ».
    En amont des cercles de parole, Yannick et Maude veillent à ce que chaque membre de la famille puisse libérer ses émotions, par le jeu, la course… « Si on n’octroie pas de temps et d’attention aux enfants, leur réservoir affectif est vide et plus rien ne fonctionne. Le contact avec la nature aide aussi, nous calme, nous apaise, développe notre intuition. On a de toute façon une obligation d’être dehors, surtout en 4×4 ou avant avec la roulotte. On veille aussi à respecter les temps de sommeil et les besoins de nourriture de chacun. Toutes ces années nous ont appris cela. »
  • Du temps pour l’intimité du couple et la sexualité : quand on est jeunes parents, il n’est pas toujours facile de trouver du temps pour le couple. Sur la route, la promiscuité et le « mode survie » rendent la tâche parfois plus difficile. Attendre le soir, que les enfants dorment « permet le jeu, de laisser monter le désir sur la journée. » Mais la fatigue physique et nerveuse que peut générer le nomadisme rogne parfois les soirées. Là encore, Maude et Yannick on appris à désamorcer des conflits naissant pour éviter d’arriver à saturation et préserver du temps pour le couple-amants. À ce sujet aussi ils ont cheminé. Yannick propose désormais, en co-création, une formation en sexualité authentique à l’intention des parents6.

LU : LES LIMITES DE LA FUSION

Lu est de retour en Allemagne avec son fils de 18 mois après cinq mois sur les routes au Portugal. Avec son compagnon, Mark, ils cherchent un terrain pour lancer leur projet dédié au yoga et au tantra. La van life leur a offert de beaux cadeaux : « Ce temps tous ensemble était très précieux, nous avons visité des projets formidables, nous avons été très libres ». Mais au quotidien, les contraintes sont trop nombreuses et ils décident de se séparer géographiquement le temps de retrouver une certaine autonomie : « Ce qui nous manquait le plus, c’est du temps pour nous-mêmes à l’intérieur, dans un endroit à soi, et la possibilité de poser un choix individuel. C’est déjà un challenge en tant que parent, mais quand on vit en van, la maison est aussi la voiture familiale… Donc toute la famille doit se déplacer pour les courses, pour une visite à un ami… Trois individus vivant comme un seul organisme, c’est un challenge ! »
Mark souffrait de ne pas pouvoir écouter sa propre voix, de ne pas pouvoir penser au-delà des besoins immédiats de la famille. « Écouter les besoins de notre fils, c’est normal, mais c’est bien de pouvoir parfois alterner : qu’un parent s’y consacre pendant que l’autre se nourrit d’autre chose. Pendant ces cinq mois, nous étions tous les deux constamment dans cette bulle sans pouvoir s’en détacher. Une bulle de six mètres carrés avec seulement un mètre carré où tenir debout ! Même si on adore vivre dehors, parfois tu veux être chez toi. À la fin, Mark est tombé malade et a mis longtemps à guérir car il n’avait pas l’espace pour », explique Lu.
Ce que Lu décrit, beaucoup de familles vivant en camping-car, camion aménagé ou van le déplorent, surtout quand l’aventure s’étire au-delà de la belle saison. La caravane permet de scinder l’habitat du mode de transport, mais passe moins facilement partout… D’où l’utilité de prendre le temps, en amont, de lister nos besoins, individuels et familiaux, pour trouver ce qui nous conviendrait le mieux et, comme les MYTAE, s’offrir la liberté, au fil de l’expérience, d’adapter ou changer de « monture » pour retrouver la joie de rêver !

MARINA : MAISON-CABANE

Marina, doula, maman solo d’une petite fille de 18 mois, est sur la route, en van aménagé, depuis un mois entre la France et le Portugal à la recherche d’une communauté de parents : « Je n’ai pas l’impression de manquer d’espace : on a toute la nature pour nous ! Ma fille adore le van, c’est sa maison-cabane. Elle est très calme quand je conduis, elle dort ou elle regarde autour… J’ai eu l’expérience avec d’autres enfants où je devais me retourner tout le temps et ça, seule, oui c’est difficile ! Un challenge au quotidien c’est que ma fille est collée à moi, pour tout, puisque je suis son principal repère. »

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