jeudi 21 mai 2020

La bienveillance dans le couple

Cet article a été publié dans le numéro 73 du magazine Grandir Autrement, dans le dossier "De la difficulté d'être un parent à l'écoute" disponible ici sur le site du magazine, et dont la photo de couverture (voir en bas de l'article) est de moi :)




Les flots mouvementés du quotidien, accentués par la parentalité, nous éloignent facilement de l’attention à l’autre et à nous-même. Comment rester présent à l’être aimé, nourrir la bienveillance dans le couple amoureux ? On entend souvent qu’il faut d’abord s’aimer soi-même avant de pouvoir aimer et se sentir aimé d’autrui, qu’il faut d’abord prendre soin de soi, comme préalable à la bienveillance envers les autres. Or, s’il fallait atteindre la réalisation de soi, l’éveil et l’amour inconditionnel de soi-même avant de vivre l’aventure du couple et de la parentalité, l’humanité serait rapidement en voie d’extinction !

Pour Isabelle de Ridder, systémicienne1: « vivre en couple c’est prendre soin de ce qui est précieux pour l’autre. Dans cet espace-là, on peut arriver à la bienveillance, la générosité, la bonté, l’envie de faire plaisir, qui nourrit le couple et le quotidien. L’étape préalable à l’empathie et la bienveillance envers l’autre, c’est le choix de me rendre disponible. Ce choix permet de se connecter et entrer en résonance, à la manière d’un wifi. Dans l’écoute de l’autre, nous recevons des informations factuelles et relationnelles mais surtout des informations portant sur “l’impact, c’est-à-dire le degré d’importance pour l’autre. Parfois il me semble que quelque chose n’est pas spécialement important alors que pour l’autre c’est une montagne. À l’inverse, parfois je ne comprends pas comment elle-il peut ne pas capter que c’est fondamental pour moi, alors que pour l’autre, c’est une broutille ! À partir du moment où on voit l’impact, où on le comprend, on peut avoir de la considération pour ce qui est précieux pour l’autre, ce qui est l’un des fondements du couple. Il n’est pas nécessaire de comprendre l’autre, il y a des choses que l’on ne comprendra jamais. L’important c’est d’essayer et de montrer à l’autre son souci de comprendre comment elle-il envisage le monde.».

C’est donc dans l’attention à soi et à l’autre, par l’écoute et le dialogue que la bienveillance peut fleurir. Certains couples ritualisent ces moments de partages par un temps d’échange hebdomadaire ou quotidien. En plus de ces espaces-temps fixes, la spontanéité peut s’inviter sous forme de jeu. Quand le besoin se fait sentir pour l’un des partenaires, elle-il peut sortir un « ticket-bougie » pour un temps de partage le soir même à la lueur de la flamme. Les bougies symboliquement nous rappellent notre flamme intérieure et la nécessité de nourrir le feu de vie en nous, ainsi que la flamme amoureuse, brasier qui, par l’émerveillement, la gratitude et l’extase, peut illuminer tout notre être. Dans l’humilité du quotidien, avec simplicité et franchise, sans chercher la performance ou l’idéal, ouvrons la parole, ouvrons nos cœurs.

Danser avec nos besoins


Tout est mouvement, rien ne peut être cloisonné. La bienveillance envers soi-même, envers l’autre et les autres, se danse dans une même respiration, dans la conscience de l’instant. Dans l’écoute de soi et de l’autre, Isabelle de Ridder nous invite à traduire ce qui est important pour nous : « Nous passons notre vie à traduire car nous parlons tous une langue singulière. Chaque partenaire a des repères différents2. C’est pareil avec nos amis, nos collègues, nos enfants. Pouvoir identifier et expliquer de manière claire ce qui est précieux pour moi, c’est souvent plus compliqué que de saisir l’autre ! On doit toujours se repositionner. C’est un flux et un reflux : je m’ajuste à moi et je m’ajuste à l’autre en même temps. Je m’écoute, tout en écoutant le besoin de l’autre : ce qu’il dit résonne en moi, je sens mon besoin écrasé, je réponds en traduisant ce que je ressens. Donc l’empathie envers moi-même se fait en même temps que la bienveillance envers ma-mon partenaire, mes enfants, pas d’abord envers moi.Donc, la bienveillance que j’ai envers l’autre, les autres, je l’ai aussi avec moi-même : dans quoi je m’ancre ? Dans quoi est-ce que je ne me respecte pas ?, etc. »

Dans son ouvrage La Sainte folie du couple, Paule Salomon éclaire la nécessité de prendre soin de nos besoins tout en étant en relation à l’autre dans un enchevêtrement vivant de liens à soi et aux autres : « Chacun se préoccupe des ses besoins particuliers en tant qu’individu – le “je” – et nourrit aussi les besoins du couple – le “nous. Chacun est individu à part entière et non la moitié de quelque chose. Il ne s’agit pas de faire passer l’autre avant soi mais avec soi. Le désir d’aller jusqu’au bout de soi-même et de dévoiler un peu du mystère que l’on est à soi-même fait partie du voyage.3»

Connaître ses rythmes


En observant nos rythmes propres et ceux du couple, une certaine chronicité peut apparaître.
Pour Paule Salomon, la relation amoureuse retraverse régulièrement sept phases, du couple matriciel au couple éveillé. À ces grands cycles se superposent les cycles d’ouverture et de repli vers soi de chaque partenaire. Femme4ou homme, chacun peut observer ses marées en représentant son humeur dans un mandala circulaire, coloré au gré des émotions du jour, et le lire au regard des cycles lunaires qui nous influencent tous.

Se connaître plus intimement, soi-même et à deux, c’est pouvoir prendre soin de ces moments de vulnérabilité, instants précieux qui nous permettent de lever le voile, d’explorer plus en profondeur nos ombres et nos lumières, nos besoins et nos désirs. Ce sont des temps propices pour « […]s’ouvrir l’un à l’autre dans un niveau de dialogues assez profond, chercher à faire tomber les masques, être attentifs.5»

Identifier, communiquer et respecter nos besoins durant ces phases, c’est grandir et prendre la responsabilité de notre épanouissement. C’est s’affranchir du schéma classique « victime-bourreau-sauveur » dans lequel nous sommes souvent pris à notre insu, tant il est « confortable » de rester dans le ressentiment ou la plainte, plutôt que d’oser l’inconnu6. Apprenons à reconnaître nos besoins, à développer notre aptitude à les traduire et à accepter un refus éventuel.

Nourrir l’amour


L’attention quotidienne à l’autre et à la relation, en lien avec soi, nourrit la spirale ascensionnelle amoureuse. Comme Isabelle de Ridder l’explique : « le sentiment d’amour, qui relève du long terme, crée des émotions d’amour, plus courtes, souvent corporelles, comme une bouffée, qui viennent renforcer le sentiment d’amour. Chaque bouffée d’amour nourrit le sentiment d’amour qui permet l’émergence d’autres bouffées dans une spirale positive qui nous donne de l’énergie, de la joie, de la sérénité, de la confiance, de la liberté. Un cercle vertueux se crée : tout le positif que je reçois augmente mon sentiment d’amour que je peux exprimer par des émotions d’amour qui m’ouvrent encore plus cet espace d’aventure qu’est mon couple pour vivre, créer, explorer.»

Et si nous voyions notre couple comme un terrain de jeux et de possibles, nourri de confiance et d’ouverture ? Une relation où offrir le meilleur de nous-même : notre authenticité et notre présence dans l’instant, comme un engagement envers nous-même et envers l’autre sans cesse renouvelé.

1 - L'approche systémique considère que l'individu fait partie de différents systèmes dont il subit l’influence(couple, famille, travail, société, etc.). Elle prend donc en compte la communication et les interactions entre les individus. Elle est particulièrement adaptée aux thérapies familiales mais a un champ d’application très vaste qui va dela biologie àl’économie en passant parl’urbanisme, etc.
2 - C’est-à-dire une éducation, une culture familiale, une représentation du couple, un langage, un cadre de référence différents.
3 - La Sainte folie du couple, Paule Salomon, Éditions Le Livre de Poche (2002).
4 - Sur les cycles féminins, voir l’article « Cycle menstruel et bienveillance» dans ce dossier et « Adopter le rythme de son cycle »,Grandir Autrementn° 69. Sur les cycles du couple, lire aussi : « L’enfant grandit, le couple aussi»,Grandir Autrementn° 71 et écouter la conférence de Paule Salomon : https://youtu.be/dEJaI4ElCGk
5 - Paule Salomon, op. cit.
6 - Sur les schémas inconscients et limitants lire Radiant Joy Brilliant Love, Clinton Callahan, Hohm Press (2007), non traduit en français.


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