vendredi 20 décembre 2019

L’école : vecteur de socialisation




Cet article a été publié dans le numéro 72 du magazine Grandir Autrement, dans le dossier "Accompagner la scolarité de son enfant" disponible en ligne ici

« Tout individu est inscrit avant même sa venue au monde dans ses groupes familiaux, sociaux et culturels. L’individu n’existe pas sans ses groupes originaires et ses institutions d’appartenance »1.Dans le modèle social qui est le nôtre, famille et école sont les instances de socialisation primaire classiques qui modèlent l’être en être social, plus ou moins sociable. La massification de la scolarisation, encouragée dès 2 ans, par les pouvoirs publics, et la légitimation de l’école comme lieu d’apprentissage des savoirs, savoir-être et savoir-faire, en fait une source d’influence majeure sur les parcours individuels mais aussi sur l’évolution de la société dans son ensemble. Comment s’opère la socialisation ? Notre modèle scolaire permet t-il l’épanouissement de chaque enfant ?


La cohésion sociale, fondement de l’école publique

La socialisation est le processus d’intériorisation par l’individu des normes, valeurs et manières d’être du groupe social auquel il appartient.  La famille dote l’enfant d’un certain « capital culturel » et la scolarité complète sa socialisation part l’influence des pairs, des professeur-e-s, de tous les acteurs en jeux (animatrices-eurs, personnel de nettoyage, direction, etc.) et de l’environnement dans lequel l’apprentissage à lieu2

Pour Emile Durkheim, père de la sociologie moderne, si l’école est garante de l’ordre social par l’homogénéisation des comportements individuels, elle prépare aussi à la division du travail en orientant les élèves vers des formations qui assureront leur fonction productive dans la société3. On note des disparités importantes dans l’Union Européenne, quant à l’âge et au degré auquel cette spécialisation s’opère4.

Assurer cohésion sociale et économique est à la source de l’enseignement obligatoire et institutionnalisé. Annick Percheron, sociologue, parle de destruction créatrice : « l’individu socialisé transforme son comportement pour satisfaire les attentes de la société »Les travaux de Georges H. Mead apporte une nuance positive. Selon lui, l’enfant copie dans un premier temps ses proches « puis il interprète librement les rôles qu’il souhaite, en se confrontant aux règles de comportements imposées par la communauté. Ainsi, dans un même contexte social, plusieurs enfants n’auront pas le même comportement, car leur personnalité les conduira à accepter plus ou moins les règles communautaires, celles-ci en retour n’ayant pas façonné à l’identique les personnalités individuelles ».6


Le défi de la mixité

Les sociologues Pierre Bourdieu et, plus récemment, Camille Peugny, l’ont montré : l’école reproduit les inégalités et échoue dans son rôle d’ascenseur social ; l’accès aux diplômes reste lié à l’origine sociale et ce fait tend à se renforcer7. En cause : la valorisation d’un certain type de capital culturel, distinct de celui dont dispose les familles populaires. Christine Passerieux, conseillère pédagogique explique : « Les codes, les valeurs, le langage de l'institution scolaire ne recouvrent pas nécessairement ceux de la famille. Plus la distance est grande, plus le travail psychique [et]cognitif que devront fournir les enfants sont importants.»8
Or, l’école est un lieu où des enfants d’origines sociales et culturelles différentes peuvent se mélanger et enrichir, ce précieux « capital culturel ». Quand les territoires le permettent… Par exemple, dans son documentaire Swagger, tourné à Aulnay, Olivier Babinet, donne la parole à des adolescents n’ayant jamais côtoyé de français dits « de souche »9. Une enquête auprès de jeunes européens de 16 à 34 ans révèle le sacrifice d’une partie des écoliers : 16% des jeunes de 16 à 17 ans déclarent se sentir ou s’être sentir en souffrance à l’école, 30% s’y sente seul et 16% méprisé10.On parle de « démocratisation ségrégative » du système éducatif11 

La prise de conscience du rôle de l’autocensure dans le choix d’orientation des élèves12et la portée de mouvements sociaux contestataires dans les banlieues ont peu à peu données lieu a des politiques de discriminations positives, tel le dédoublement des classes en CP et CE1 dans les zones défavorisées (pour atteindre moins de 20 élèves par classe), ou les « Cordées de la réussite »13, un dispositif favorisant l’accès à l’enseignement supérieur aux élèves issus de milieux précarisés (notamment par le tutorat entre élèves du supérieur et du secondaire). Mais c’est peut-être le caractère élitiste du système d’orientation, reflet de la psyché collective, qui hiérarchise les formations en fonction d’une vision inégalitaire de la société, fondé sur la suprématie du conceptuel sur le corporel, du col blanc sur le col bleu. 

D’après Muriel Darmon, directrice de recherche au CNRS, c’est en première année de maternelle que le processus de socialisation propre à l’école est le plus visiblecar les enfants y sont préparés à devenir des élèves. L’apprentissage y est plus social que scolaire. Ses travaux éclairent la notion de violence symbolique, propre à Bourdieu, influence infra-consciente de l’école et ses acteurs, qui assure , « L’homogamie sociale est d’autant plus forte qu’elle est relayée par de nombreux mécanismes, aussi bien internes à la classe (l’institutrice peut apparier des enfants qui lui paraissent aller ensemble, le « club des chipies » se rassemble de lui-même autour des livres d’images…) qu’externes (la sociabilité enfantine étant organisée par la sociabilité parentale, les mères qui se connaissent ou se voient en dehors de l’école pouvant par exemple venir chercher alternativement les enfants ou les garder le mercredi)»14. Les discours et pratiques d’obéissance, l’apprentissage du classement, de la catégorisation et de la différenciation, « même de ce qui est objectivement identique» 15 par « l’intériorisation de « catégories de l’entendement »serait pour Darmon «l’apprentissage social d’un principe de vision et de division du monde ».16


Vive la récré !

L’importance du relationnel à l’école, l’influence décisive que l’enseignant-e peut avoir sur le développement d’un enfant, dans des conditions souvent difficiles (classes en sureffectifs, manque de soutien et de valorisation de la fonction…), par son attention aux dons en germe, est un cadeau pour la vie.
Quand on évoque l’école, c’est souvent les amitiés qu’enfants et adultes évoquent en premier. Dans le processus de socialisation, bien plus que les professeurs, ce sont les pairs dont l’influence est la plus grande sur l’enfant. Les temps libres dans la cour de récréation permettent l’apprentissage spontané du vivre ensemble. Les interactions entre enfants d’âges différents sont rendues possibles, les fratries se retrouvent, l’imaginaire se libère. Et se sont bien souvent ces aventures que l’enfant partage le soir à la maison.


1. « Groupes et individus», Cahiers de psychologie clinique, n°31, 2008, https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2008-2-page-215.htm
2. Maria Montessori, L’enfant dans la Famille, Desclée de Brouwer, 2016
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Socialisation
4. OCDE, L’europe de l’éducation en chiffres, 2016, http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/94/4/depp-EEC-2016_660944.pdf
5. Les grandes questions sociales contemporaines, L’Etudiant, 2007, https://www.letudiant.fr/boite-a-docs/telecharger/la-socialisation-2632
6. L’étudiant, op.-cit.
7. Camille Peugny, Le destin au berceau : Inégalités et reproduction sociale, Le Seuil, 2013
8. Christine PASSERIEUX, Ecole maternelle : La socialisation, un préalable ou une construction scolaire ?, Dialogue n° 108, GFEN : http://www.cndp.fr/entrepot/fileadmin/docs/education_prioritaire/maternelle_edu/Passerieux_Maternelle.pdf
9. Olivier Babinet, Swagger, France, 2016.
10. L’enquête « Génération Quoi » a été menée en France en 2013. En découle, « Génération What » une série de reportages vidéos et une enquête statistique menée dans 9 pays de l’Union Européenne sur les 18-34 ans : http://generation-what.francetv.fr
11. Pierre Merle, La ségrégation scolaire, La Découverte, 2012
12. Camille Peugny parle d’auto-sélection : « à niveau scolaire équivalent, par exemple, les enfants vont avoir des souhaits d’orientation différents selon leur origine sociale», voir son interview par l’Observatoire des inégalités, 2013 https://www.inegalites.fr/La-mobilite-sociale-est-en-panne-entretien-avec-Camille-Peugny-sociologue
13. http://www.cordeesdelareussite.fr
14. Muriel Darmon, « La socialisation, entre famille et école. Observation d'une classe de première année de maternelle», Sociétés & Représentations n° 11, 2001, https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2001-1-page-515.htm
15. Darmon, op.-cit. L’auteur montre comment un objet peut être nommé et utilisé différemment selon le moment et le lieu où il est employé.
16 Darmon, op.-cit.

Aucun commentaire:

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...