mardi 12 février 2019

Pourquoi les hommes partent ? Maternage proximal et mal-être paternel

Magnifique portrait réalisé par le photographe Johan Bävman pour sa série Swedish dads

Je viens de lire un article bouleversant du docteur Jonh W. Travis : Why men leave ? qui raconte le vécu intime d'un homme, médecin, qui devient père deux fois. Malgré des niveaux de conscience bien différents à l'arrivée de ses enfants, la paternité le met tour à tour face à ses blessures d'enfant d'une manière insupportable... Son expérience relatée sans fard est très représentative de ce que nos enfants peuvent déclencher en nous: nos blessures les plus enfouies, celles qu'on ne veut surtout plus revivre, ni même observer de loin... 

J'aime lire la parole libérée de cet homme, sentir le chemin qu'il a parcouru, cueillir l'espoir qu'il offre au fil du récit. Un homme sensible, en paix avec ses polarités masculines et féminines. 

En tant que femme et mère, je me retrouve aussi très bien dans son récit (son vécut fait écho au mien à certains égards). Si son expérience d'homme résonnera et s'appliquera peut-être tout particulièrement aux hommes, elle est  à mon sens tout aussi juste pour les mères... En particulier pour celles qui n'ont pas la possibilités de guérir leur blessures car elles doivent assumer seules et/ou pour celles qui bien intégré le modèle dominant patriarchal qui valorise le faire sur le sentir et l'être.

Je vous propose cette traduction-maison en français avec un surlignage des passages les plus éclairants pour moi (même si tout mérite d'être surligné !)


Pourquoi partent les hommes ?

Dr John W. Travis
Publié en novembre 2006 sur Kindred (en anglais).

Les hommes quittent leurs familles de plein de façons différentes. Même s'ils demeurent au sein de leur foyer, beaucoup de pères sont souvent absents émotionnellement – à travers la dépression, la boulimie de travail, la violence ou l’abus (physique ou émotionnel), ou un refuge dans l’addiction aux substances, les médias, les produits de consommation, les sports, la nourriture ou le sexe.

La plupart des hommes aujourd’hui dans les pays dits développés n’ont jamais connus  d’attachement (ou ont connu un attachement très faible) avec leurs mères. La majorité des gens ne se rendent même pas compte à quel point les gens modernes sont déconnectés les uns des autres comparativement aux cultures dans lesquelles l’attachement est intact. Oui, il est vrai que nous parlons d’aliénation et que nous remarquons à quel point les gens de culture méditerranéenne sont tactiles, mais nous ne faisons pas le lien entre ce phénomène et la façon dont nos liens entre nous, avec la nature, et avec le sacré ont été déchirés. Je soutiens que cette épidémie discrète et silencieuse est la source de la plupart des maladies sociétales. Le départ des pères qui abandonnent leurs familles n’est que la pointe de l’iceberg.

La plupart des hommes ont été nourris au biberon et ont été soumis à d’autres schémas culturels abusifs en tant que bébés, comme dormir seuls ou être laissés à pleurer alors qu’ils ont besoin d’être réconfortés. Biologiquement, le mâle est le genre le plus fragile de notre espèce et il est en retard de plusieurs années en termes de développement par rapport aux femmes, et ce jusqu’à l’âge adulte. Et au lieu d’obtenir le complément de soin dont il a besoin pour compenser sa faiblesse, vers l’âge de 5 ans, les mâles dans presque toutes les cultures en reçoivent bien moins que les femmes. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la plupart des garçons n’ayant pas connus l’attachement deviennent des hommes qui passent le plus clair de leur temps à chercher une figure maternelle qui leur fournira le soin dont ils ont été privés en tant que bébés et enfants (recherche alimentée par la publicité qui met en avant les seins qui leur ont été refusés). Une partie du mécanisme de survie consiste à apprendre à refouler leurs sentiments et à projeter les besoins non satisfaits sur des substituts, les femmes, d’autres éléments externes comme le consumérisme, la boulimie de travail et d’autres addictions.

Nous, les hommes sans attachement, pouvons nous en sortir dans nos mariages pendant un temps, mais lorsque notre “maman” donne naissance et soudainement détourne son attention sur son nouveau-né, nous perdons souvent une grande part du réconfort que nous avions de notre partenaire. C’est quasiment inévitable étant donné la demande qui repose sur les parents piégés dans ce que j’appelle l’expérience du « désastre de la famille nucléaire » (Nuclear Family Disaster) que notre culture traverse. Les mères, tout particulièrement, ne peuvent pas voir leur besoin de réconfort satisfait, à moins qu’elles ne fassent partie de cette minorité qui vit en tribu, dans des communautés très soudées ou des familles étendues.

Les cultures d’Europe du nord, au nom de la civilisation et du progrès, ont graduellement détruits la tribu/village/famille étendue/communauté et l’ont remplacé par le désastre de la famille nucléaire. Ce qui s’est ensuite transformé en « piège du parent célibataire » (Single Parent Trap). Ces phénomènes se sont propagés rapidement à travers le monde alors que les européens du nord ont exporté leur expérience d’isolation sur chaque continent sauf l’Antarctique, tout d’abord via les missionnaires et les conquêtes, et aujourd’hui à travers les médias et les multinationales. Les conséquences sont incommensurables, menant à la pression accablante de l’isolation, en particulier pour les femmes qui finissent souvent par avoir à assumer la responsabilité totale de leurs enfants.

Dans le même temps, le fait d’être soudainement exposé à un bébé qui n’a pas encore été totalement « dressé » à renier ses propres besoins – comme téter au sein, être porté avec amour, être constamment en présence d’un adulte réfèrent, etc – et qui exprime ses besoins de façon vocale, va habituellement remuer nos souvenirs réprimés de nos besoins niés en tant que bébés, nous plongeant dans une douleur profonde – consciente ou inconsciente.

Face à ce niveau élevé de douleur, nous mettons en avant nos moyens de défense contre nos sentiments – que ce soit via la médication, l’adultère, la rage, la dépression, l’addiction ou la violence (physique ou émotionnelle). C’est la première étape par laquelle les hommes fuient. Si le mécanisme de défense fait défaut, parce que le besoin réel n’est pas satisfait, beaucoup d’entre nous pensons que la seule chose qu’on peut faire est de se détacher du stimulus et quitter notre maison.

Les filles aussi, dans notre culture, reçoivent bien moins de réconfort que ce dont elles ont besoin et souffrent également d’un échec d’attachement. Néanmoins, elles ont l’occasion de recréer l’expérience d’un lien sûr par leur capacité unique à avoir un lien biologique avec le fœtus pendant la grossesse (et les hormones correspondantes). Si elles sont capables de conserver ce lien en résistant à la norme culturelle et en élevant un enfant avec un attachement fort, elles peuvent alors guérir d’une grande partie de leur non-attachement. Être le témoin de ce phénomène peut provoquer simultanément chez le père une résurgence de ses propres blessures primales, ce qui déclenche ses défenses, et vient augmenter la probabilité de son départ. 

Etant donné que la dépression était mon mécanisme de défense de choix, je comprends ce mécanisme particulier mieux que d’autres, mais je pense que ma théorie explique aussi pourquoi d’autres mécanismes de défense, comme l’addiction et la violence, mènent à une rupture des liens et au legs de notre propre traumatisme à la génération suivante.

Aux origines de la douleur


Je suis né dans les regions rurales de l’Ohio en 1943. Comme la plupart des bébés nés à cette époque, j’ai été drogué (via l’anesthésie générale de ma mère, qui a mis des semaines à s’estomper), arraché du giron avec les forceps en métal froid, attrapé par gants en plastiques collant puis plongé dans une lumière aveuglante – au lieu d’être accueilli avec tendresse par des mains chaleureuses dans une lumière tamisée. J’ai sans aucun doute été tenu la tête en bas pour drainer mes poumons (je ne suis pas sûr d’avoir été giflé ou pas, mais c’était la norme). Du nitrate d’argent piquant a été mis dans mes yeux, j’ai été ensuite emmailloté dans un tissu rêche et froid au lieu de me laisser me blottir contre la peau tiède de la personne avec qui j’avais été intimement lié pendant 9 mois. Peu de temps après j’étais amené à la « nursery » et placé dans une boîte en plastique aux côtés de Carol D., née plus tôt ce même jour. J’ai passé les 10 jours suivants là-bas (c’était la norme dans les années 40). Arlène et Marlène m’ont rejoint, des jumelles nées quelques jours plus tard. On m’a alors donné une tétine froide en caoutchouc avec un biberon rempli d’une substance grasse, antigénique, au lieu de la nourriture miraculeuse résultat de 3 millions d’années d’évolution spécialement préparée pour moi.

Puis, un jour ou deux plus tard, j’ai été immobilisé sur une planche et sans aucun anesthésiant, la majorité des terminaisons nerveuses les plus sensibles de mon pénis ont été amputées. Puis ont suivi les « abus normaux » des pratiques parentales des années 40:
  1. Lait artificiel
  2. Un planning de biberon toutes les 4 heures. J’avais faim au bout de 3 heures et je pleurais la dernière heure, jusqu’à ce que j’apprenne que ça ne servait à rien et j’ai pris une décision sur le monde qui est si fondamental pour mon organisation cérébrale qu’il impacte encore presque tout ce que je fais : « Demander ce que l’on veut ne sert à rien »
  3. Etre enfermé dans un berceau ou un parc
  4. Privation du mouvement continuel lié au fait d’être porté dans les bras.
  5. Dormir seul dans une chambre séparée.
La plupart de ces “progrès” dans l’éducation des enfants ont été établis par des hommes citant des idées « scientifiques » non testées, il a été démontré depuis qu’elles sont déstructrices du lien humain. Je ne blâme pas mes parents ou les autres de leur génération ; ils ont suivi naturellement le courant culturel et les promesses de la science et des technologies pour soigner les maux du monde, qui en 1943, étaient encore un espoir indéfectible.

J’ai utilisé la dépression comme défense principale dès le début. Alors que ma défense primaire semble en apparence être la dépression, ce n’est qu’une des multiples possibilités à laquelle s’accroche les enfants/adultes dans leur tentative d’échapper à la douleur des premiers besoins réprimés qui les rongent. Les autres sont l’addiction, la violence, les maladies chroniques, et l’écocide (destruction de l’environnement) – symptômes de ce que James Prescott appelle Syndrôme de Privation d’Affection Somato-Sensorielle (Somato-Sensory Affectional Deprivation Syndrome) dans ses premières recherches sur l’attachement.

J’ai créé un monde “sûr” qui dans ma tête me donnait la sensation de contrôle (vu que je n’avais pas de contrôle sur ma façon d’être nourri, d’être touché ou bercé). Le fait d’avoir été déconnecté de la matrice de ma vie en étant isolé des autres a limité ma capacité à exprimer mes besoins et à les satisfaire – d’où les dépressions chroniques. Personne ne voyait mes dépressions, y compris moi, jusqu’à ce que je sois à l’université – les gens pensaient juste que j’étais “calme”.

Ma condition n’est pas atypique des hommes vivant aujourd’hui qui ont été élevés selon les standards culturels « modernes ». Un de mes amis, bien qu’élevé en Californie, a été suffisamment chanceux du fait que sa mère était sud-américaine. Il a été allaité bien après l’âge de 2 ans et m’a toujours paru plus heureux que toutes autres personnes que je connais.

Ma dose de câlins

N’ayant jamais connu le réconfort d’une mère, j’ai passé la majeure partie de ma vie à chercher un remplacement.

Je pensais que le fait de me marier et de devenir docteur me satisferait d’une certaine façon. Donc dès l’âge de 5 ans je me suis lancé aveuglément sur la voie de 22 années d’études qui permettrait d’atteindre le deuxième objectif. Je supposait que la “fille” idéale apparaitrait par magie au moment où je deviendrais docteur. Bien que mes compétences sociales aient été peu développées, je n’étais pas découragé à l’idée qu’elle apparaitrait.

A ma grande surprise, le mariage en plein cœur de mes études de médecine n’a pas soudainement rendu ma vie meilleure, juste plus compliquée. Mes sentiments de vide ont empiré et ma dépression s’est amplifiée. Après trois années de mariage et de nombreuses crises, ma femme a dit qu’on devait avoir un bébé ou se séparer. Je pensais que je devais accepter, puisque le divorce n’était pas une option dans ma famille. A contrecoeur, en 1972, je suis devenu père.

C’était génial au début, l’excitation d’un nouvel être, puis la réalité m’a frappé : j’étais beaucoup plus bas dans la liste d’attention de ma femme. J’ai commencé à être de plus en plus déprimé, ce qui nous mena à la thérapie. Là-bas j’ai appris que j’avais des sentiments et que je pouvais les exprimer bien qu’avec difficulté (même aujourd’hui). Nous avons commencé à apprendre les causes inconscientes qui ont influence notre mariage symbiotique, mais que nous étions impuissant à les changer. Toutefois, ce groupe de thérapie parentale est devenu la base de mon travail de pionnier du bien-être et plus tard, de mon observation qu’un lien raté d'attachement mène au besoin d’un travail de guérison en tant qu’adulte.

Bien que j’ai appris énormément sur mon fonctionnement interne, j’étais toujours déprimé la plupart du temps. Quand notre fille a eu 2 ans et demi, la douleur était telle que je me suis rendu compte qu’il fallait que je parte afin de garder toute ma tête, j’étais parfois à deux doigts d’avoir des pensées suicidaires. J’ai abandonné ma première fille avec qui je n’avais jamais vraiment tissé de lien – clairement à cause de mon manque d’expérience avec ce phénomène.

Le cycle a repris avec une autre relation intense de 3 ans. Je recherchais toujours inconsciemment la mère que je n’avais jamais eu, et quand je suis remonté dans son attention ce n’était pas assez, et elle était épuisée par mes besoins intenses. C’est aux environ de ce moment que j’ai entendu parler du livre Magical Child (L’enfant magique) et de la tentative de son auteur Joseph Chilton Pearce de recadrer les besoins légitimes de réconfort des enfants. Mais alors, je ne pensais pas que cela était pertinent et inconsciemment je ne voulais pas remuer mes souvenirs douloureux de l’enfance. J’ai essayé d’apprendre à m’aimer et à suivre les principes de la responsabilité de soi-même que j’essayais de promouvoir à l’époque, le tout en continuant de me battre avec ma dépression chronique. J’ai à peine réussi et au fond de moi, je ressentais toujours que quelque chose n’allait pas.

Un an plus tard j’ai rencontré une australienne, Meryn Callander, et je suis tombé amoureux. Alors que notre amour s’épanouissait, nous étions souvent mis au défi de notre relation en formation, mais nous l’avons surmonté et un an plus tard nous nous marions. Nous avons aussi commencé à travailler ensemble, dans un premier temps en écrivant des livres, puis en créant une communauté authentique, particulièrement pour aider les professionnels qui se sentent souvent seuls et incapables de se connecter émotionnellement avec des pairs. C’est à travers les études de Meryn sur la spiritualité féministe que je suis devenu conscient du phénomène de séparation endémique dans la culture occidentale qui a créé les institutions autoritaires qui nous entourent, comme la médecine, le droit et le système éducatif. Je faisais face à certains aspects de ce phénomène dans le cadre de mon travail dans notre « Wellness Resource Center » au cours des 7 dernières années, mais je ne comprenais pas le contexte général.

Je pensais que j’avais graduellement surmonté mes dépressions grâce à un travail continuel sur moi dans des séminaires orientés vers le developpement personnel, séminaires que je menais et auxquels je participais. Mes amis qui me connassaient depuis longtemps voyaient la différence : les années de travail pour traiter mes douleurs étaient en train de payer.

L’une des choses qui me reconfortait le plus c’était le fait d’être allongé au lit la nuit dans les bras de Meryn, habituellement à regarder la TV, en ayant ma tête, ma poitrine ou mon ventre caressé. Nous passions une heure plusieurs soir par semaine à faire cela avant de nous endormir et une quinzaine de minutes le matin, en alternant celui qui était le refuge de l’autre. Contrairement au stéréotype masculin qui pense au sexe et en veut toujours plus, ce que je recherchais principalement était le réconfort d’une figure maternelle, même si je n’en étais pas pleinement conscient. Parfois je pensais que quelque chose n’allait pas bien avec moi de ne pas être plus intéressé sexuellement. Etre pris dans les bras et caressé était le filin qui me maintenait à flot, sans pour autant vraiment réaliser à quel point ce besoin m’était vital jusqu’au jour où je l’ai perdu presque totalement.

Se jeter à l’eau

Comme la plupart de nos amis à l’époque , Meryn et moi ne pensions pas avoir d’enfant ensemble, mais après 10 ans, s’approchant de la quarantaine, l’horloge biologique de Meryn s’est mise en route. Je ne pouvais pas m’imaginer rouvrir l’expérience douloureuse d’être père à nouveau. Sur les conseils d’un ami, j’ai lu « Le Concept du Continuum » de Jean Liedloff. J’ai soudainement réalisé que la séparation que nous avions étudié n’était pas innée à la condition humaine mais le résultat de la façon dont nous isolons nos bébés et nos jeunes enfants. A titre personnel, je pouvais me rendre compte que mes vieilles blessures, que je croyais avoir guéries lors de ma thérapie, étaient encore là. Je pensais aussi que je pourrais me rattraper de mon pire échec (être un père) et faire les choses correctement cette fois avec une nouvelle approche.

Jusque là, j’avais vécu une vie faite de dates limites (auto-imposées) en utilisant l’adrénaline pour me permettre d’accomplir des choses, en ayant toujours la sensation qu’une peur inconnue me gagnerait si je n’avais pas un objectif concret à achever à la fin de la journée. Je faisais semblant de me concentrer sur l’amour et les relations comme étant mes plus hautes valeurs, mais j’étais mu par le besoin d’accomplir des choses pour payer mon dû. Cela est toujours vrai même si j’ai fait de gros progrès.

Durant 4 ans, au début de notre relation, Meryn et moi avons vécu une vie volontairement simple dans les montagnes du Costa Rica. Nous avions tous les deux envie de revenir à cette vie simple. En parallèle de notre décision d’avoir un enfant, nous avons vendu notre grande maison, réduit les séminaires que nous animions et avons acheté 40 acres dans une zone reculée du comté de Mendocino en Californie, à 7 miles de la fin des lignes électriques.

Nous sommes devenus des exploitants agricoles. Je me suis mis à transformer une cabane en une maison fonctionnant à l’énergie solaire. Nous lisions et écrivions intensément sur le parentage proximal. Nous nous sommes préparés à donner naissance à notre fille à la maison avec une sage-femme, le tout agrémenté d’une piscine d’eau chaude fournie par un ami.

La naissance s’est bien passé, et alors que je pensais être mieux préparé pour devenir père, je n’avais pas la moindre idée de la profondeur de la douleur et de l’envie qui surgirait en étant constamment avec un être qui connaissait ses besoins, les exprimait et avait droit au réconfort dont chaque enfant a besoin et qui lui permet de s’épanouir.

Et comme on aurait du le prévoir, l’arrivée de Siena a supplanté la plupart de ma source de réconfort. Notre maison n’était toujours pas terminée, je devais faire face à des problèmes d’eau et d’électricité. Nous sommes vite arrivés à la conclusion que notre tentative de parentage proximal était faite pour une famille étendue et pas pour notre famille nucléaire. Faire venir la mère de Meryn d’Australie pour vivre avec nous a aidé, mais il a souvent semblé, étant donné notre engagement que Siena soit toujours portée jusqu’à ce qu’elle en décide autrement, que nous étions à encore à court de bras.

Alors que nous donnions à notre fille un degré de réconfort physique inconnu de la plupart des enfants dans le monde occidental, et qu’elle s’épanouissait, notre relation de couple devenait de plus en plus tendue. Je tombais encore plus profondément dans la dépression, alternant périodes d’hyperactivité pour nous maintenir à flot financièrement et pour me racheter de mes moment d’effondrement. C’était insoutenable.

J’essayais de satisfaire mes besoins sur de nombreux fronts: travaux, thérapie, groupes de soutien, et passer du temps dans la nature; le tout s’avéra inutile.

Ce n’est qu’après une année de recherche spirituelle, déménageant à l’autre bout du pays en Virginie en 1996 où j’ai trouvé une communauté qui semblait pouvoir combler beaucoup des idéaux que j’avais poursuivi durant les 20 années précédentes, que j’ai trouvé de la tranquillité dans mon cheminement et j’ai commencé à écrire sur le sujet.

Malgré la moitié d’une vie de thérapie et d’effort de développement personnel, je luttais toujours avec ma rage à peine dissimulée, qui se manifestait sous la forme de dépression, une crispation chronique de la machoire et un nœud à l’estomac.

Et même maintenant, près de 11 ans après la naissance de ma deuxième fille, je suis toujours aussi choqué par le contraste que je constate entre ses besoins exprimés et satisfaits, et la façon dont la plupart d’entre nous ont été traités. J’ai passé plus de 1000 nuits allongé à côté d’elle pendant qu’elle tétait. Cela m’a donné une nouvelle notion de mes propres besoins oraux domptés que j’ai essayé de compenser durant toute ma vie et toute ma carrière. Passer du temps avec ma fille active encore parfois en moi des zones douloureuses et profondes, je la vois comme un professeur spirituel, qui me met au défi permanent de gérer mes années de douleur réprimée, cette douleur qui m’a maintenue déconnecté de ma famille/tribu/planète, qui est mon droit imprescriptible.

Conclusions

Mon parcours personnel est révélateur d’une des façons dont peut s’exprimer l’échec de l’attachement dans une dynamique familiale. Heureusement, c’est dans nos blessures que se révèlent nos dons. Il est clair que mon travail dans le bien-être a été influencé par ma douleur, et si je ne l’avais pas pris dans le contexte plus large d’un parcours personnel, je pense que j’aurais sombré dans la souffrance. Si vous n’avez pas trouvé le don dans votre blessure, continuer de chercher.

Un mot d’avertissement : après m’être observé et avoir observé d’autres qui ont travaillé sur ces sujets plus de la moitié de leurs vies adultes, je ne suis plus très sûr que nos blessures d’enfance liées à l’absence d’un attachement fiable – ou l’euphémisme populaire de la “faible estime de soi” (Liedloff décrit l’attachement comme le sentiment d’être méritant et bienvenu) – puisse être soigné à long terme au-delà de quelques éclairs et de remissions temporaires. Mais je suis convaincu que l’on peut apprendre à mieux gérer notre douleur et à être moins contrôlé par elle.

La dépression est l’un des plus grands problèmes de notre culture, au même titre que l’addiction, la violence, et les maladies chroniques. La réactivation de cette douleur dans notre tentative de créer une famille à nous est une condition à laquelle nous devrions réfléchir avant la naissance d’un enfant. J’avais et je continue d’avoir des difficultés avec cette situation, donc je ne pense pas que ce soit facile pour de jeunes gens qui entrent naïvement dans la vie de parent inconscients de leur propres blessures.

Pour éviter de perpétuer l’échec de l’attachement auprès de nos jeunes, amplifié par les familles nucléaires dysfonctionnelles – elles même un artefact de cultures autoritaires – nous devons reconnaitre ce à quoi un lien fiable ressemble et ce qu’il nous fait ressentir et commencer à remettre en cause l’abus normatif du détachement que l’on voit partout.

Nous voyons et entendons cette myriade de symptômes d’aliénation et d’attachement raté tous les jours aux infos, mais nous n’entendons pas parler des vraies causes – notre façon de traiter nos bébés et nos enfants. Si nous y regardons de plus près nous pouvons voir les symptômes dans nos propres vies, comprendre la cause réelle et commencer à avoir nos besoins satisfaits avec l’aide de livres et d'ateliers sur la conscience de soi, de groupes de soutien, thérapie, et une communication ouverte et honnête avec nos familles et amis, au lieu de rester aveugles et d’être uniquement menés par nos besoins d’enfance. Commencer par mettre en pratique la sagesse trouvée dans des publications comme celle diffusée par Kindred (ndlt: site anglophone) est un bon début.

Plus les hommes seront conscients de la dynamique entre leurs besoins non satisfaits et le fait de voir leurs enfants essayer d’avoir les leurs satisfaits, plus le déni général de ce problème sera  exposé en plein jour, et plus les hommes seront plus aptes à gérer leurs propres problèmes au lieu de les renier, les cacher, les infliger aux autres ou à les traiter par voie médicamenteuse.

Les hommes seront alors capables d’aider la société à comprendre et à reconnaitre les blessures du détachement qui ont non seulement atteint des proportions épidémiques dans les générations récentes, mais qui en plus sont perpétuées par des programmes culturels et économiques. En recréant des communautés, des familles étendues et d’autres façons de se soutenir, à découvrir en se donnant le réconfort qu’on a jamais eu, nous pouvons rompre le cycle de l’abandon et de la séparation infligé aux enfants sous la forme de naissances médicalisées, d’alimentation au biberon, circoncision, crèche précoce et autres traitements similaires.

Lorsque nous faisons face et acceptons nos propres blessures et lorsque nous ouvrons nos coeurs pour nous occuper de nos propres besoins, nous libèrerons la compassion qui nous donne la force de rester avec nos familles et de créer un monde qui nous réconforte tous.

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